mercredi 30 septembre 2009

Croire au Big Bang est un acte de foi

COSMOLOGIE La Recherche 2/2004
Jayant V. Narlikar : « Croire au Big Bang est un acte de foi »
Les cosmologistes ont l'esprit borné, accusent depuis cinquante ans quelques récalcitrants au modèle du Big Bang. Malgré le décès en 2001 de leur maître, Fred Hoyle, ils ne désarment pas. Invité en 2004 par le Collège de France, l'Indien Jayant V. Narlikar convie ses collègues à ne pas confondre faits et spéculations.
LA RECHERCHE : Vous reprochez à la cosmologie telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui de ne pas être une science, faute de s'appuyer suffisamment sur des faits. N'est-ce pas paradoxal si l'on songe que les cosmologistes n'ont jamais disposé d'autant d'observations ?
JAYANT V. NARLIKAR : La notion d'observation peut être très trompeuse en cosmologie ! Régulièrement, les partisans du modèle du Big Bang* affirment avoir observé tel ou tel épisode passé de l'histoire de l'Univers. En réalité, les seules observations dont ils disposent sont celles de l'Univers tel qu'il se présente aujourd'hui. Les cosmologistes en sont alors réduits à extrapoler pour reconstituer le passé. Trop souvent, ces extrapolations ne reposent sur rien de solide et relèvent de la pure spéculation.
Prenez par exemple le rayonnement de fond cosmologique* dans lequel baigne tout le Cosmos. Il est censé fournir, selon la formule consacrée, un instantané de l'Univers âgé d'environ 380 000 ans. En réalité, ce que l'on observe directement, c'est le rayonnement tel qu'il est aujourd'hui. On interprète ensuite ses caractéristiques actuelles, en particulier les fluctuations qu'il présente, à l'aide de théories les reliant à d'hypothétiques événements qui auraient eu lieu au tout début de l'histoire de l'Univers. Mais ces théories ? je pense en particulier à celle de l'inflation* ? sortent du domaine connu de la physique : elles ne sont pas vérifiables par des expériences de laboratoire, pas plus que ne sont directement observables ces hypothétiques événements primordiaux. On peut donc reprocher à la cosmologie actuelle de trop s'écarter de ce qui peut être déduit ou vérifié par des faits.
Avez-vous d'autres exemples de cette propension à la spécu-lation ?
JAYANT V. NARLIKAR : On sait qu'une majeure partie du contenu de l'Univers se présente sous forme de matière n'émettant pas de rayonnement détectable. Ce que l'on ignore encore, c'est la nature de cette matière sombre. Les partisans du modèle du Big Bang affirment qu'il ne peut s'agir de matière « ordinaire », similaire à celle qui constitue étoiles et planètes. Pourquoi ? Parce qu'une telle hypothèse impliquerait qu'une très grande quantité de deutérium, une forme lourde de l'hydrogène, ait été produite dans l'Univers primordial. Or ce n'est pas ce que prévoit le modèle standard du Big Bang. Une attitude scientifique normale aurait voulu que la découverte de la matière sombre remette en question le modèle. Ce n'est pas du tout ce qui s'est passé : pour sauver le modèle, on a préféré inventer une nouvelle forme de matière, dite « exotique », dont on ignore en réalité à peu près tout et qui n'a jamais été observée !
Une autre hypothèse en vogue aujourd'hui est celle de l'existence dans l'Univers d'une nouvelle forme d'énergie, baptisée « énergie sombre ». D'où vient cette hypothèse ? Vous semble-t-elle aussi peu fondée que celle de la matière sombre « exotique » ?
JAYANT V. NARLIKAR : Postuler l'existence d'une nouvelle forme d'énergie relève de la même volonté de sauver à tout prix le modèle du Big Bang. Jusqu'à il y a seulement cinq ans environ, il était acquis, selon ce modèle, que l'expansion de l'Univers ralentissait. Puis des observations d'un type particulier d'astres, les supernovae*, ont suggéré qu'au contraire l'expansion de l'Univers accélérait. Qu'à cela ne tienne, plutôt que de remettre en question le modèle standard, la plupart des cosmologistes ont préféré ressortir de leurs tiroirs la « vieille » constante cosmologique L. Celle-ci avait été ajoutée par Einstein en 1916 à ses équations du champ gravitationnel. Il voulait ainsi les rendre compatibles avec un Univers statique, ce qu'il pensait réaliste à l'époque. Qualifiée par Einstein lui-même de plus grosse erreur de sa vie, L avait depuis disparu des équations du modèle du Big Bang. Pour sauver l'accord entre modèle et observations, la voilà qui fait son grand retour, assimilable à une forme de densité d'énergie du vide se traduisant par une force répulsive. Donc, non seulement il nous faut croire à l'existence d'une matière invisible exotique, mais également à celle d'une forme d'énergie à juste titre baptisée « sombre », puisque per- sonne ne l'a encore observée ! Pourtant, les observations de supernovae n'impliquent pas forcément un Univers en expansion accélérée. Une autre interprétation est possible.
Quelle est cette interprétation alternative ?
JAYANT V. NARLIKAR : La conviction d'un Univers en expansion accélérée repose sur l'observation de supernovae très lointaines qui se sont révélées moins brillantes qu'elles ne devraient si l'expansion ralentissait. Mais j'ai récemment montré que de telles observations s'expliqueraient tout aussi bien par la présence, dans les galaxies où se trouvent les supernovae, d'un certain type de poussières, formant des aiguilles [1]. Il s'agirait de poussières galactiques produites par condensation du fer rejeté par des générations précédentes de supernovae. Contrairement à l'hypothèse de l'énergie sombre, notre explication a le mérite de s'appuyer sur des faits, puisque des expériences de laboratoire nous montrent qu'effectivement ce type de condensation produit de la poussière en forme d'aiguilles.
Comment expliquez-vous que les cosmologistes tentent de sauver le modèle du Big Bang à tout prix ?
JAYANT V. NARLIKAR : La situation me semble présenter des similarités avec le fanatisme religieux. Quand vous adhérez à une religion, vous êtes parfois prêt à la défendre à n'importe quel prix. En cosmologie, cela veut dire ne pas admettre la confrontation avec d'autres manières de rendre compte des observations, et présenter comme des faits ce qui ne relève pourtant que de la spéculation. Je n'ai rien contre l'imagination en science, mais je regrette l'arrogance avec laquelle les partisans de la cosmologie standard affirment que leur vision est la vraie. Ils ne laissent aucune place pour d'autres modèles, je pense bien sûr au modèle que je défends, celui d'un Univers sans Big Bang, dit « modèle quasi stationnaire », dont le support empirique n'est certainement pas moins solide que celui du modèle du Big Bang [2].
Vous venez pourtant d'être élu par vos pairs pour occuper pendant un an la chaire internationale du Collège de France. Voilà une reconnaissance qui semble témoigner d'une certaine tolérance...
JAYANT V. NARLIKAR : Ce n'est pas si simple. Il est aujourd'hui extrêmement difficile de publier des articles décrivant une cosmologie qui n'est pas dans la norme, et tout à fait impossible d'obtenir des fonds pour réaliser des programmes d'observation qui lui seraient consacrés. Il ne faut dès lors pas s'étonner que les rangs des opposants au Big Bang soient si clairsemés : un étudiant choisissant de travailler sur un modèle non standard n'aurait pratiquement aucune chance d'avoir un jour un poste. C'est un cercle vicieux ! De ce point de vue, je ne trouve pas que nous ayons fait beaucoup de progrès depuis le temps de Copernic ou de Galilée. Ce n'est peut-être plus du fondamentalisme religieux, mais je crois que le terme de fondamentalisme scientifique est tout à fait approprié.
Pensez-vous que la popularité du modèle du Big Bang reflète un attachement à des concepts métaphysiques ou religieux ?
JAYANT V. NARLIKAR : L'idée d'un « commencement » est assurément, avec la Genèse, un concept central des religions occidentales. Il se peut donc que certaines personnes aient quelques difficultés à penser un Univers sans commencement, sans création unique.
Est-ce à dire que, dans un système de pensée non occidentale, le modèle du Big Bang perdrait beaucoup de son attractivité ?
JAYANT V. NARLIKAR : Je ne voudrais pas surestimer le rôle d'un biais religieux, mais on peut concevoir que dans la tradition de pensée bouddhiste, par exemple, un modèle d'Univers sans origine, dont la matière serait créée en permanence plutôt qu'à l'issue d'une hypothétique « explosion » initiale, serait plus facile à « assimiler ».
Vous admettez que l'Univers est actuellement en expansion. En remontant dans le temps, ne trouve-t-on pas naturellement un état primordial d'extrême densité, autrement dit un Big Bang ?
JAYANT V. NARLIKAR : Non, un tel raisonnement repose sur des extrapolations non justifiées. L'expansion de l'Univers est mise en évidence par un phénomène fondamental en cosmologie, celui de décalage vers le rouge. Plus un objet est loin de nous, plus vite il s'éloigne de nous, emporté par l'expansion de l'espace. La longueur d'onde d'un photon qui voyage dans un espace en expansion étant étirée, on observe un décalage spectral vers les plus grandes longueurs d'onde, d'autant plus élevé que l'objet est lointain. Ce qu'il faut savoir, c'est que l'expansion de l'Univers n'est directement observée que jusqu'à des décalages vers le rouge de 4 ou 5, c'est-à-dire jusqu'à des distances d'environ 10 milliards d'années-lumière. Or le modèle du Big Bang extrapole au-delà de ces observations, et remonte jusqu'à des décalages vers le rouge de 1 milliard ou plus ! Un décalage vers le rouge de 4 ou 5 correspond à une époque passée où la densité de l'Univers n'était que d'environ deux cents fois supérieure à la densité actuelle, alors qu'un décalage vers le rouge de 1029 correspond à une densité supérieure d'un facteur 1087 ! Comment s'assurer de la validité de nos lois physiques sur une telle gamme de densité ? Jamais en physique on ne se permet d'extrapoler autant...
Vous doutez de plus de l'interprétation classique du décalage vers le rouge cosmologique ?
JAYANT V. NARLIKAR : Il y a effectivement un certain nombre d'observations qui remettent en question la thèse selon laquelle le décalage vers le rouge d'un objet est uniquement dû à l'expansion de l'Univers. Prenez le cas de deux galaxies qui apparaissent sur le ciel connectées par un filament. Une telle connexion suggère que les deux objets sont physiquement reliés entre eux, et donc situés à la même distance. Mais quand vous mesurez leur décalage vers le rouge, vous obtenez deux valeurs différentes, donc deux distances différentes. Pour échapper à la contradiction, des cosmologistes affirment alors que les deux galaxies ne sont pas réellement reliées entre elles physiquement : un filament s'échappe d'une des deux galaxies, et ce n'est que par l'effet du hasard qu'une galaxie située en arrière- ou en avant-plan apparaît sur la voûte céleste à l'extrémité du filament. On peut calculer la probabilité avec laquelle un tel alignement fortuit est susceptible de se produire. Il se révèle qu'elle est bien trop faible pour que toutes les observations de ce type soient attribuables à un effet du hasard. Mais au lieu d'envisager qu'une partie du décalage vers le rouge puisse être due à un autre processus que l'expansion de l'Univers, les astrophysiciens préfèrent ignorer ces observations récalcitrantes pour ne pas avoir à réviser un des piliers du modèle cosmologique qu'ils ont construit.
Dans un tout autre registre, vous reprochez au modèle du Big Bang de faire appel à un mécanisme de création unique, échappant ainsi à l'exigence, classique en science, de reproductibilité d'un phénomène. Mais n'est-ce pas là une limite commune à tout modèle cosmologique si l'on admet qu'il n'y a qu'un seul Univers ?
JAYANT V. NARLIKAR : Je ne crois pas. Le modèle quasi stationnaire que feu Fred Hoyle, Geoffrey Burbidge et moi avons élaboré depuis dix ans postule des processus permanents de création de matière, sorte de mini-Big Bang. Une bonne partie de la physique des hautes énergies utilisée dans le modèle du Big Bang pourrait s'appliquer à ces processus. Dans notre modèle, il n'y a aussi qu'un seul Univers, mais ses processus fondamentaux ont l'avan- tage, décisif à mes yeux, de se répéter. Nous pourrions donc encore les observer aujourd'hui.
Vous affirmez que votre modèle d'Univers quasi stationnaire rend aussi bien compte que le modèle du Big Bang des observations dont on dispose aujourd'hui [2]. Quels types d'observations seraient à l'avenir susceptibles de trancher entre les deux ?
JAYANT V. NARLIKAR : Une observation décisive serait la détection de galaxies très faiblement lumineuses, présentant un décalage spectral non plus vers le rouge, mais au contraire vers le bleu. Le modèle standard ne pourrait expliquer l'existence de tels objets, alors qu'il s'agit d'une prévision de notre modèle. Ce dernier prévoit aussi l'existence d'étoiles très vieilles, âgées d'environ quarante à cinquante milliards d'années. L'observation de telles étoiles poserait des difficultés je crois insurmontables au modèle du Big Bang, qui estime l'âge de l'Univers à environ treize ou quatorze milliards d'années. Mais ces vieilles étoiles, si elles existent, seraient très peu lumineuses. Pour avoir une chance de les détecter, il faudrait un programme systématique d'observations spécialisées dans ce type d'objets, qu'aucun organisme n'est malheureusement prêt à financer. Si, d'aventure, un tel programme était entrepris et qu'on ne trouvait rien, je ne vous cache pas que je serais bien embêté, car le modèle quasi stationnaire a besoin de ces vieilles générations d'étoiles pour rendre compte de l'existence du fond de rayonnement cosmologique. C'est ce que nous expliquons dans un article récent [3]. Sans vieilles étoiles, il serait aussi beaucoup plus difficile pour moi de continuer à défendre la thèse selon laquelle la matière sombre est de la matière ordinaire, simplement trop faiblement lumineuse pour avoir été détectée jusqu'à présent.
Le CNRS vient d'inaugurer, au large de Marseille, l'expérience Antarès, destinée à détecter d'éventuelles particules « exotiques » susceptibles de constituer cette matière sombre. Si des résultats positifs étaient obtenus, comment réagiriez-vous ?
JAYANT V. NARLIKAR : Si l'on détecte de telles particules, la seule conclusion que l'on pourrait en tirer serait que... de telles particules existent. Et non que... l'on a trouvé la masse cachée de l'Univers, comme ne manqueraient pas de l'annoncer les promoteurs du projet, suivis en fanfare par les journaux. Car détecter dans un laboratoire la simple existence d'un nouveau type de particules ne suffit pas à montrer que celles-ci existent partout dans l'Univers dans les proportions nécessaires pour résoudre l'énigme de la matière sombre. Permettez-moi enfin de vous rappeler qu'Antarès n'est pas la seule expérience qui cherche à détecter cette matière sombre exotique, mais jusqu'à présent les résultats ont tous été négatifs. La vraie attitude scientifique voudrait que, dans ces circonstances, d'autres modèles reçoivent l'attention qu'ils méritent.
Stéphanie Ruphy

COSMOLOGIE ET RELIGION

De la science à la religión publié à La Recherche 10/2007
En 1951, le Pape Pie XII, enthousiaste amateur d'astronomie, lit devant l'Académie pontificale des sciences un discours dans lequel il reprend les récentes avancées de la cosmologie et affirme : « Il semble, en vérité, que la science aujourd'hui, remontant d'un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat Lux initial, de cet instant où surgit du néant, avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s'assemblaient en millions de galaxies. » Pie XII fait référence, sans complexe, au scénario de l'abbé Lemaître. Mais ce « concordisme » assumé entre vérité révélée et science est une contre-publicité pour ceux, dont l'abbé Lemaître, qui voulaient que l'histoire scientifique de l'Univers et la vérité religieuse soient totalement indépendantes l'une de l'autre. Ainsi, après une discussion avec l'abbé Lemaître, Pie XII renonce un an plus tard, devant l'assemblée générale de l'Union astronomique internationale, à tout concordisme en séparant les domaines de la science et de la religion. Pour Lemaître, le bénéfice est double : la cosmologie peut se développer en toute liberté, et la religion n'a pas à craindre un revers de scénario imposé par de nouveaux faits scientifiques. Mais la séparation rigoureuse de l'abbé ne sera pas suivie par d'autres religieux, spiritualistes, ou même une partie du grand public qui aime la simplicité d'une seule et même explication. La théorie du Big Bang a donc aussi été victime de sa « beauté » conceptuelle et la diffuser demande toujours de grandes précautions.

dimanche 20 septembre 2009


article la recherche mai 2009
Jacques-Olivier Baruch,Pierre Binetruy
Le Big Bang
L'espace, le temps et tout ce que contient l'Univers seraient nés il y a 13,7 milliards d'années. La plupart des cosmologistes acceptent cette idée. Sans parvenir à décrire l'instant zéro.
Le Big Bang a-t-il eu lieu ?
Peut-être. Sans doute. Toute l'ambiguïté de la question provient des deux sens que l'on donne au terme Big Bang. S'il s'agit de la naissance de l'Univers, la réponse est « on ne sait pas », puisque les équations de la physique ne parviennent pas à remonter au temps zéro. Par contre le Big Bang est aussi l'ensemble des modèles qui racontent l'évolution de l'Univers à partir d'un état extrêmement chaud et dense. Ce sont les équations de la relativité générale qui en sont le point de départ. Pourtant, Einstein penchait pour un Univers statique et éternel. C'est ainsi qu'on le concevait au début du XXe siècle, puisqu'on ne connaissait de l'Univers que la Voie lactée, notre Galaxie. Pour que ses équations décrivent un Univers statique, Einstein y ajouta une constante dite cosmologique. Il n'empêche que ces équations permettaient aussi de décrire un Univers en expansion. C'est ce qu'étudièrent indépendamment le Russe Alexandre Friedmann en 1922 et l'abbé belge Georges Lemaître en 1927. L'observation concomitante de la fuite des galaxies par Edwin Hubble à l'observatoire du mont Wilson, en Californie, permit à leurs modèles de s'ancrer dans les observations. Il fallut quand même attendre presque un demi-siècle pour que la majorité des astrophysiciens se rangent à cette idée.
D'où vient le terme Big Bang ?
De l'Anglais Fred Hoyle, le plus farouche opposant à cette théorie. En 1950, lors d'une émission de radio sur la BBC, l'astronome employa dédaigneusement ce qualificatif pour décrire ce qu'on appelait auparavant le « modèle d'évolution dynamique ». Le terme était assez frappant - et grand public - pour qu'il reste gravé dans les mémoires. Pourtant les modèles de Big Bang ne décrivent pas une explosion au sens strict. C'est une expansion de l'espace lui-même à partir d'un état infiniment chaud et dense.
En 1993, la revue américaine Sky and Telescope a lancé un appel pour modifier ce nom. Aucune des plus de 13 000 propositions n'a plu au jury composé d'astronomes vulgarisateurs comme Carl Sagan.
De quoi l'Univers est-il né ?
Mystère ! Puisque l'Univers était en expansion, il était beaucoup plus concentré dans le passé. Georges Lemaître proposa même que ce début fût un « atome primitif ». Mais ce n'était que pure spéculation. Les équations ne permettent de remonter dans le temps que jusqu'à 10-43 seconde après le Big Bang. Sauf à trouver une théorie qui marie les deux « soeurs ennemies » du XXe siècle que sont la relativité générale et la physique quantique, rien ne peut être décrit avant ce moment, dit temps de Planck. L'Univers possédait alors une température de 1032 kelvins. Sa partie observable actuellement depuis la Terre était réduite à une sphère de 10-35 mètre de rayon. Cela ne veut pas dire que l'Univers avait cette taille, mais c'est cet embryon qui, en s'étendant, a donné naissance à ce que nous pouvons observer, soit une sphère de 13,7 années-lumière de rayon.
Qu'y avait-il avant ?
On ne sait pas, car les Anglais Stephen Hawking et Roger Penrose ont montré dans les années 1970 que tout modèle de Big Bang parvenait à une « singularité », un événement indescriptible par la physique actuelle, puisque les équations fourmillent alors de termes infinis dont les physiciens ne savent que faire. Il n'empêche que certains se jouent de cette singularité. On peut par exemple considérer, comme Gabriele Veneziano du Collège de France, qu'à la singularité, la notion d'espace disparaît, mais pas celle de temps. Il y a donc un « avant » Big Bang. Comme tout système physique se décrit à partir de ses conditions initiales, les physiciens se demandent alors si on peut trouver dans les données actuelles des indices sur celles qui régnaient avant la singularité.
Un exemple de cette traversée temporelle du Big Bang est donné par la théorie des cordes, dans laquelle les particules sont modélisées comme des cordes à une dimension. Y apparaît la notion de brane, sorte de surface multidimensionnelle analogue àune membrane) sur laquelle s'attachent les extrémités des cordes. La partie perceptible de l'Univers serait une brane à quatre dimensions (trois d'espace et une de temps) plongées dans un Univers dont les autres dimensions ne sont accessibles qu'à la gravité. Une brane a pu entrer en collision avec une autre, ce qui a donné lieu au Big Bang. On peut décrire l'Univers avant ou après ce Big Bang, mais pas au moment de la collision !
Ce modèle implique qu'il existe des Univers multiples. C'est aussi ce que suggère, avec une approche différente, Andrei Linde. Ce Russe, aujourd'hui professeur à l'université Stanford, pense que l'Univers est né des fluctuations du vide quantique, c'est-à-dire de l'état fondamental de l'Univers, potentiellement très riche. L'une de ces fluctuations aurait donné naissance à une bulle qui serait notre espace-temps, comme d'autres bulles ont pu former d'autres Univers avec des constantes physiques différentes.
Quand a-t-il eu lieu ?
Il y a 13,7 milliards d'années, aux dernières nouvelles. Cette valeur a varié au cours des années et de la précision des observations, car c'est le taux d'expansion de l'Univers et sa variation qui fournissent son âge. Or ce taux, baptisé constante de Hubble et noté Ho, dépend des vitesses
et des distances des galaxies. Leur vitesse est déduite directement du décalage vers le rouge de la lumière qu'elles émettent. C'est l'effet Doppler, qu'on compare souvent au son d'une ambulance qui devient plus grave à mesure qu'elle s'éloigne de nous. La mesure de leur distance est quant à elle indirecte. Les astrophysiciens utilisent des « chandelles cosmiques », des types d'étoiles bien connues et dont la luminosité réelle est partout la même. Il suffit alors de mesurer leur luminosité apparente pour connaître leur distance. C'est le cas d'étoiles variables comme les Céphéides ou des supernovae de type 1a. Quand Edwin Hubble décrit sa loi d'expansion, en 1929, il évalue Ho à 500 kilomètres par seconde et par mégaparsec*, soit un Univers vieux de moins de deux milliards d'années. L'Univers aurait été plus jeune que la Terre ! Les mesures de distances devenant plus précises, Allan Sandage trouve, en 1956, quatre milliards d'années. Encore trop court. Puis Ho a oscillé entre 50 et 100 kilomètres par seconde et par mégaparsec. Aujourd'hui Ho est estimé à 70 kilomètres par seconde et par mégaparsec.
L'âge de l'Univers est aussi très dépendant de la variation du taux d'expansion. Celle-ci dépend du modèle d'Univers, en particulier de son contenu. Car la gravité (et donc la densité de matière) ralentit l'expansion, alors que des forces répulsives l'accélèrent. C'est pourquoi des efforts importants sont consacrés en ce moment à cet inventaire du contenu de l'Univers.

Où s'est-il produit ?
Nulle part et partout à la fois. Le Big Bang étant une singularité spatiotemporelle, l'Univers devait être infiniment dense. Mais pas forcément localisé en un point. S'il est infini, il devait déjà l'être à cet instant, ou plus exactement au seul temps accessible par la physique, le temps de Planck, 10-43 seconde après cet instant initial. Par ailleurs, le Big Bang est la création de l'espace-temps lui-même. Il ne se serait donc produit à aucun endroit.
Jusqu'à quand observe-t-on le passé ?
Un mur est infranchissable aux télescopes, qu'ils soient en orbite terrestre ou au sol. C'est le rayonnement de fond cosmologique (CMB) émis lorsque l'Univers avait 380 000 ans. Ce flux de photons, aujourd'hui observable dans les micro-ondes, a été émis lorsque la température de l'Univers était de 3 000 kelvins, température maximale pour que les électrons puissent se combiner aux noyaux atomiques et arrêtent ainsi d'entraver la marche de la lumière. Auparavant, l'Univers était un plasma ionisé totalement opaque à la lumière.
Ce n'est donc pas par le rayonnement qu'on observera ce qui s'est passé avant 380 000 ans. Il y a deux espoirs. La soupe primordiale contenait, outre les photons, tous les types de particules élémentaires, en particulier des neutrinos. Comme ceux-ci interagissent très faiblement avec la matière, l'Univers leur était quasi transparent et certains d'entre eux, émis environ une seconde après le Big Bang, seraient parvenus jusqu'à nous. Il y en aurait environ 300 par centimètre cube, mais très peu énergétiques. Parce qu'ils interagissent encore plus faiblement avec la matière que leurs congénères actuels, personne ne sait encore comment détecter ces neutrinos primordiaux.
Il se peut aussi qu'on détecte un jour les ondes gravitationnelles, sortes de rides de l'espace-temps, qui auraient été émises 10-35 seconde après le Big Bang. Mais elles doivent être de très faible amplitude. Aucun instrument actuel ni envisagé n'est capable de les détecter.
C'est dans les accélérateurs de particules qu'on parvient à éviter le piège du CMB, car on y recrée presque les conditions qui régnaient jusqu'à une microseconde après le Big Bang. L'Univers était alors rempli d'un plasma de quarks et de gluons qu'on pense avoir observé au CERN, à Genève, et au RHIC, près de New York.
Y a-t-il plusieurs modèles de Big Bang ?
Il y a presqu'autant de modèles que de cosmologistes. Avant les années 1990, tout était ouvert car chacun diffère de l'autre par le contenu de l'Univers qu'il prend en compte. Avec peu de densité de matière, l'Univers s'étendrait sans fin. Avec une densité plus grande que celle dite critique, la gravitation prendrait un jour le pas sur l'expansion. L'Univers se recontracterait jusqu'à s'effondrer en un Big Crunch. Ces propositions sont aujourd'hui abandonnées. Les analyses du fond diffus cosmologique, observé par le satellite américain Cobe en 1992, et précisé par WMAP en 2003, montrent que la densité est voisine, sinon égale, à la densité critique. L'Univers s'étendrait alors infiniment tout en ralentissant progressivement son expansion, selon les modèles dits d'Einstein-de Sitter. Depuis 1998, les observations de supernovae lointaines de type Ia montrent que l'expansion, loin de décélérer, accélère. Les nouveaux modèles ont dû intégrer cette donnée, imputant la cause à une mystérieuse énergie noire. Celle-ci peut être une nouvelle composante dynamique ou simplement l'énergie du vide, ce qui rétablirait une sorte de constante cosmologique d'Einstein dans les équations. Ce qu'avaient fait en un sens Alexandre Friedmann et Georges Lemaître dans les années 1920.
Avec quels outils parvient-on à décrire l'évolution de l'Univers ?
La première époque sur la description de laquelle les cosmologues s'accordent est celle de l'inflation, un phénomène étonnant introduit en 1980 par Alan Guth, aujourd'hui professeur au Massachusetts Institute of Technology. À 10-35 seconde, on suppose que l'Univers est dans un état tel que l'énergie du vide quantique domine, sans qu'on sache vraiment pourquoi. Ce vide a un effet répulsif foudroyant sur l'Univers, dont la taille est brusquement multipliée par 1050. Toute courbure étant ainsi étirée, l'Univers devient extrêmement plat, une caractéristique confirmée par les observations du fond diffus cosmologique. Il devient, de plus, vide et froid. S'ensuit une période dite de réchauffement pendant laquelle se créent des particules chaudes. C'est une sorte de re-création de l'Univers. Heureusement, car sinon nous ne serions pas là pour le penser. Les étapes ultérieures de l'expansion et du refroidissement de l'Univers (voir la chronologie du Big Bang) sont modélisées par la physique des particules, puis nucléaire, aidée par les expériences en accélérateurs. Elles décrivent les réactions entre particules et antiparticules, en constante création et annihilation, la formation des protons et des neutrons, celle des noyaux des éléments légers, jusqu'à celle des atomes et la libération de la lumière 380 000 ans après le Big Bang. C'est alors la cosmologie observationnelle, puis la physique stellaire et galactique qui prennent le relais pour décrire la formation des grandes structures de l'Univers, des étoiles et des galaxies.
A-t-on des indices de sa réalité ?
Non, en ce qui concerne la singularité initiale. Mais oui, pour les modèles. Trois observations sont primordiales et sont considérées comme les piliers de l'édifice Big Bang. Tout d'abord l'expansion de l'Univers fut un élément déterminant pour que les modèles de Friedmann et de Lemaître soient pris en compte. Si les galaxies s'écartaient comme à la surface d'un ballon, elles devaient être plus proches dans le passé. L'Univers devait donc être plus dense et plus chaud. C'est ainsi que Lemaître imagina son modèle de l'atome primitif quand toutes les galaxies étaient réunies en un point.
La deuxième observation est le rayonnement de fond cosmologique émis 380 000 ans après le Big Bang. L'Univers se refroidissant à 3 000 kelvins, les photons n'avaient plus assez d'énergie pour arracher les électrons. Les atomes se formèrent, la lumière traversa sans encombre de grandes distances, jusqu'à parvenir à nos détecteurs aujourd'hui. Ce bain de photons, aujourd'hui à 2,73 kelvins, avait été prédit par Ralph Alpher et Robert Herman en 1949, mais ce n'est qu'en 1965 que Arno Penzias et Robert Wilson, des laboratoires Bell, l'ont détecté en réglant leur antenne radio. Le fait qu'il soit homogène et isotrope sur de très grandes distances prouve sa nature cosmologique. Des fluctuations très faibles (de l'ordre de 1/100 000) fournissent de précieuses informations sur la dynamique de l'Univers avant 380 000 ans.
La troisième « preuve » est la proportion d'éléments légers que l'on trouve dans l'Univers. George Gamow et Ralph Alpher montrèrent en 1948 que l'hydrogène et la majeure partie de l'hélium ont été créés lors de la nucléosynthèse primordiale, quelques secondes après le Big Bang. Les calculs qui ont suivi ont affiné la proposition. Ils arrivent à décrire les proportions observées de deutérium (un proton, un neutron), d'hélium-3 et -4 (deux protons, un ou deux neutrons) et, dans une moindre mesure, de lithium-7 (trois protons, quatre neutrons).
Par où ces modèles pêchent-ils ?
Des fluctuations du même type que celles qui apparaissent dans le fond cosmologique doivent être à l'origine de la formation des galaxies et des amas. Les simulations numériques permettent de reproduire assez finement cette formation en tenant compte de la présence de la matière noire, mais ce n'est pas le cas aux petites échelles où une meilleure compréhension est nécessaire. Un deuxième problème a longtemps été le fait que l'âge des plus vieilles étoiles semblait supérieur à celui de l'Univers. Par exemple, l'âge de l'étoile CS 22892, dont on a mesuré le contenu en thorium, était évalué à 15,2 milliards d'années, alors que l'Univers ne devait alors en avoir que 12. La détermination plus précise de la constante de Hubble et un affinement de la physique stellaire ont réglé la question.
Mais le plus gros hiatus est très récent : 95 % du contenu de l'Univers nous est inconnu ! Les données du fond diffus cosmologique et l'observation de l'accélération de l'Univers indiquent que 73 % de l'énergie de l'Univers est sous la forme d'une énergie noire, de nature énigmatique, mais que certains comparent à l'énergie du vide. Avec 23 % de matière noire, elle aussi de nature inconnue, il ne reste que 4 % de matière ordinaire, celle qui constitue les étoiles et toute la matière observable. C'est peu pour un modèle qui a la prétention de décrire l'Univers dans son ensemble et son évolution. Même si ces composantes noires existent réellement, des questions se posent quant à l'Univers primordial. Par exemple, l'inflation a-t-elle réellement eu lieu ou est-ce une idée ad hoc, comme elle fut qualifiée en 1980 quand Alan Guth l'a proposée ? Il faut dire que les conditions initiales nécessaires à la survenue d'un tel événement sont très peu naturelles.
Y a-t-il des modèles concurrents ?
Il y en a eu. Tout d'abord Einstein lui-même arrangea ses équations pour
qu'elles décrivent un Univers statique et éternel. L'observation de la fuite
des galaxies lui donna tort. Mais l'idée d'un Univers surgi de nulle part sinon de l'énergie (le « et la lumière fut » de la Bible) dérangea plus d'un astrophysicien athée. Le modèle concurrent le plus célèbre est le modèle stationnaire que les Anglais Fred Hoyle, Thomas Gold et Hermann Bondy publièrent en 1948. Ils soutenaient que l'expansion observée se produisait à densité de matière constante. Il n'y avait pas eu de phase chaude, pas de Big Bang, mais création continue de matière. Le modèle perdit nombre de ses partisans après la découverte du fond diffus cosmologique qu'il n'arrivait pas à expliquer. Il en reste toujours : l'Indien Jayant Narlikar, le Français Jean-Claude Pecker ou l'Américain Halton Arp. Même s'ils défendent une variante du modèle stationnaire, leur démarche vise plus à questionner les scientifiques, afin de déboulonner le dogme qu'est devenu le modèle du Big Bang.
Dans les années 1970, les Suédois Hannes Alfven, David Bohm et Oskar Klein imaginèrent le modèle de l'Univers-plasma. L'Univers serait né de l'énergie d'annihilation de la matière et l'antimatière dans un nuage en contraction. La force électromagnétique y remplace la gravitation dans la formation des grandes structures de l'Univers.
Depuis 2001 a émergé le modèle ekpyrotique. Ses plus ardents défenseurs sont l'Américain Paul Steinhardt, de Princeton, et Neil Turok, de l'université de Cambridge, en Angleterre. Ils imaginent que l'Univers est branaire et multidimensionnel. La phase d'inflation y est remplacée par la collision de deux Univers, un phénomène qui doit être cyclique.
Jacques-Olivier Baruch,Pierre Binetruy
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